Devant le succès du premier opus racontant le Making of de Prince of Persia, Jordan Mechner remet le couvert en reprenant la même formule (un simple copier/coller - non retouché - de son journal intime de l'époque) pour nous faire partager cette fois la genèse de son tout premier hit : Karateka.

Tout commence pourtant en janvier 1982 avec... Deathbounce ! Jordan, qui n'a pas encore 20 ans, travaille en effet sur un jeu d'arcade inspiré d'Asteroids (en plus évolué et coloré). Totalement opposé à ce que sera Karateka plus tard, Deathbounce représente un peu la fin d'une première génération de jeux d'action sur Apple II : des jeux d'arcade simples, et dans le concept et visuellement, sans véritable scénario. Et si Brøderbund - avec lequel Jordan Mechner est déjà en contact - se montrera si exigeant, réclamant encore et toujours des améliorations avant de l'éditer, la sortie en 1982 d'un certain Choplifter n'y est sans doute pas étrangère : ce mega hit va ouvrir une nouvelle voie dans le jeu d'action sur Apple II (et son créateur accessoirement exacerber les fantasmes de réussite et de gloire du petit Jordan). Mechner ne sortira jamais Deathbounce, car dorénavant un autre projet beaucoup plus ambitieux occupe tout son esprit : Karateka... 

On découvre alors au fil des pages l'évolution (voire la métamorphose) de l'idée de base : partant d'un simple jeu de karaté ayant pour cadre un dojo, Jordan en arrive à réaliser un véritable jeu d'action avec une approche beaucoup plus cinématographique. Le scénario dans l'absolu est très basique : une princesse à sauver (blonde), un gentil (vous) et des méchants pas beaux commandés par un super vilain ! Mais c'est toute la mise en scène avec intro, cut-scenes, et épilogue qui feront la force du titre. Karateka synthétise déjà tous les points forts qui seront l'apanage des œuvres de Mechner. 

Et parmi ceux-ci bien évidemment, l'aspect technique qui sera une véritable claque pour l'époque. Jordan va utiliser des photos de son prof de karaté en action en numérisant sa silhouette avec un Versa-Writer, sorte de pantographe électronique. Puis il retouchera le tout avec des outils personnels pour arriver au résultat que l'on connaît. Ce n'est pas encore tout à fait du Rotoscoping mais l'idée est là ! Avec son animation des personnages fluide et précise, Karateka, bien que sorti en 1984, reste encore aujourd'hui l'un des jeux Apple II les plus impressionnants à regarder.

Malheureusement, qui dit journal dit aussi succession d'un quotidien qui ne se révèle pas toujours passionnant : étudiant à Yale, Jordan Mechner n'est pourtant guère concentré sur ses études. En fait, il semble passer sa vie à travailler sur son jeu (quand il n'a pas la flemme...), à regarder des films et à manger des pizzas. Bref, le vrai geek dans toute sa splendeur, celui que nous étions tous à l'époque, le talent - et la réussite - en moins !

Car du talent, Mechner en a à revendre et sur ce point, son propre journal ne lui rend pas vraiment hommage. La faute, sans doute, à une absence quasi-totale de détails techniques qui, d'une part, est frustrante pour le lecteur avide de secrets de fabrication et qui, d'autre part, rend la partie programmation totalement abstraite. Jordan nous pond un monument du jeu vidéo mais le lecteur ne s'en rend pas forcément compte. On a par contre droit aux petites errances existentielles de l'auteur (mais à son âge qui n'en avait pas...) et à ses rêves de gloire et d'argent un peu cucul certes, mais qui finalement avec le recul, ne se révéleront pas si utopiques que ça. Aujourd'hui beaucoup de monde connaît (ou a entendu parler) de Jordan Mechner mais qui se souvient d'un Doug Smith (Lode Runner) ou d'un Danny Gorlin (Choplifer) ?

Du côté des critiques, le plus gros point noir reste à mon sens l’absence de notes qui auraient pu nous éclairer sur certains personnages (il n'est pas rare de se demander pendant la lecture : "mais c'est qui ce gars ?") ou remettre dans le contexte certains évènements qui semblent parfois sortis de nulle part.

Pour conclure : ayant lu son premier journal, je savais grosso modo à quoi m'attendre et je n'ai donc pas été déçu par ce nouveau livre de Jordan Mechner. On y retrouve d'ailleurs les mêmes forces et faiblesses que dans le précédent. D'autant plus que, d'un point de vue strictement personnel, Karateka me parlant beaucoup plus qu'un Prince of Persia (auquel je n'avais pas joué à l'époque), je me suis senti plus concerné par le sujet. Quoiqu'il en soit, ceux qui ont aimé le premier devraient y trouver leur compte. Pour les autres par contre, la lecture me semble tout à fait dispensable.

 

The Making Of Karateka : Journals 1982-1985 par Jordan Mechner. 230 pages que nous qualifierons d'aérées... Disponible sur Amazon.fr en vrai papier et en version Kindle, autres formats commandables directement sur le site de l'auteur.

Vous pouvez également retrouver des extraits ainsi que des détails supplémentaires (notamment sur le fameux Versa-Writer) sur The Penny Arcade Report.